Question intéressante et difficile. Tout d’abord, vu du Gemba, les choses ne sont pas claires. La plupart des entreprises que l’on rencontre ces jours-ci ont une initiative Lean sous une forme ou une autre. Certes, les objectifs de ces initiatives sont souvent plus proches d’une volonté, assez classique de la part du dirigeant, d’améliorer la productivité et de réduire des coûts, en utilisant le vocabulaire Lean et outils Lean. Mais est ce réellement du Lean?
Une autre façon de poser la question c’est de savoir, compte tenu de toutes les publications et les initiatives proposées, comment entrer dans une vrai démarche Lean.
Un état des lieux montre qu’il y a vraiment peu d’expériences de démarche Lean réussies telles que décrites dans « Système Lean1 ». Mon intuition est que la réponse se trouve dans la compréhension de cette constatation. De nombreuses entreprises poursuivent un programme Lean, forment leurs cadres supérieurs, leurs cadres intermédiaires et de proximité en utilisant des outils et des ateliers pilotes pour obtenir des améliorations de la performance. Mais leurs quelques dirigeants qui s’engagent, eux même, dans cette démarche ne réalisent jamais que – (suivant les termes de Art Byrne)2- le Lean est une stratégie.
Le Smiley est la clé
Pour la génération du soi-disant management à la japonaise qui est apparu sur les « tablettes » des dirigeants au début des années quatre-vingt, avec les Edwards Deming et ses 14 points, avec Richard Pascale et « The Art Of Japanese Management » et William Ouchi avec la théorie Z, il est devenu généralement admis que toute entreprise qui se respecte doit avoir une politique d’amélioration de la performance basée sur la participation du personnel au travers d’activités de groupes multidisciplinaires. Et en effet, “Le Lean” dans son interprétation occidentale a étoffé ce mouvement en ouvrant une boîte à outils et des méthodes spécifiques d’améliorations pour mener à bien ces programmes.
Richard Pascale a souligné il y a 30 ans que, dans l’esprit de la majorité des dirigeants, gérer une entreprise signifie:
- avoir une stratégie,
- mettre en place une structure organisationnelle,
- mettre en oeuvre des systèmes ad-hoc d’informations et de contrôles.De par mon expérience personnelle auprès des entreprises, c’est toujours une description précise de l’état d’esprit des dirigeants.Les dirigeants croient fermement que la stratégie, la structure et les systèmes d’information et de contrôles pilotent leurs résultats financiers. Par conséquent, lorsque les résultats ne sont pas satisfaisants, ils remettent en question leur stratégie (recherche de nouveaux marchés juteux et abandon des marchés dits taris avec précipitation), ils réorganisent (réduction des coûts “charges inutiles”) et ils changent leur système d’information et de contrôle par un système plus performant (large contribution de l’ « IT » qui a ainsi intégré reporting et planification à grande échelle). Les dirigeants, à l’affut d’outils miracles, ont ainsi entendu parlé du Lean et ont ajouté un quatrième levier pour impliquer leurs employés dans des programmes locaux amélioration de la performance :
- Mettre en œuvre un programme d’amélioration des performances (ex : le Lean, l’excellence opérationnelle, le Lean six sigma, l’Excellence de classe mondiale, Système de Production personnalisé, l’Elan et… ne plus porter de cravate et épingler un smiley sur sa chemise).
Il est attendu de ces programmes d’amélioration : des économies, de soutenir la stratégie et de soutenir les résultats finaux, mais, en soi, ils sont rarement stratégique.
L’idée, toujours tenace, est que la stratégie, la structure et les systèmes d’information et de contrôle sont les éléments clés, mais puisque la réalité et les résultats sont autres, un programme d’amélioration des performances (dont on se garde bien de l’appeler amélioration de l’efficience) s’impose alors comme une évidence. Ce programme s’appuyant sur des projets de « cost saving » sélectionnés par l’équipe de direction, avec une touche de management pseudo participatif ( par exemple: contribution du programme de suggestion… pour avoir le personnel dans sa poche..), permettra de réduire les malheureux effets financiers secondaires dus à la restructuration, à la réorganisation et aux changements de système. Et cela dans les délais les plus courts possible, avec des plans à un an et des objectifs sévères, on est souvent dans l’urgence, on met la pression pour parer le reporting trimestriel ou de fin d’année.
La réelle Clé
Avec du recul ou avec les années, les quelques pionniers européens qui ont appris « le Lean » par des coaches formé par TOYOTA ont eu une révélation: Le Lean était la stratégie, et non pas un outil efficace pour atténuer voire éliminer les effets secondaires de la stratégie existante. En d’autres termes, Toyota a fait une hypothèse de management fondamentale, hypothèse tellement différente des principes établis qu’il est a priori, avec notre culture et formation dont les bases viennent de OST (Organisation scientifique du travail), difficile d’en projeter distinctement ses effets. Mais dés que vous vous efforcez, et cela tout le temps, à améliorer la Sécurité, la Qualité, la Flexibilité, la Productivité en impliquant tout le personnel à résoudre collectivement les problèmes techniques de plus en plus complexes, à inventer des processus plus intelligent, alors prendra forme une entreprise plus compétitive, plus rentable, et généralement avec un environnement de travail plus agréable et moins stressant.
Le lean n’est ni une religion, ni une idéologie, mais une façon scientifique de voir les choses appliquée à l’entreprise. C’est un système de management particulièrement ardu qui implique un changement radical d’orientation de management pour les cadres dirigeants mais également les cadres intermédiaires et de proximité-. Lorsque vous abordez avec un vétéran du Lean les sempiternelles questions : comment faites vous du Lean ? Ou, qu’est ce qu’est le Lean pour votre entreprise ? La réponse sera : réduisez vos accidents de moitié chaque année (quasi accidents, accidents avec arrêt et risque de maladie professionnelle), les plaintes des clients par moitié chaque année, les stocks de 20%, et, cherchez à améliorer la productivité de 15%. Alors la stratégie, la structure et les systèmes nécessaires pour votre entreprise apparaîtront clairement.
Si nous prenons un peu de recul, nous voyons que c’est un énorme acte de foi à demander aux dirigeants et cadre de formation traditionnelle. Pourtant, c’est précisément l’esprit perspicace de certains qui a réussi à transformer leurs entreprises telles que : Art Byrne à Wiremold ou John Toussaint à ThedaCare. Avec un principe : commencez par améliorer la « valeur », le reste suivra.
Le Lean dans ce sens peut être défini par Kaizen (amélioration de la sécurité, la qualité, la flexibilité et la productivité) + RESPECT (le faire en impliquant tout le monde, tous les jours pour résoudre les problèmes ensemble et approfondir les compétences techniques de chacun). C’est précisément ce que Pascale avait vu au début des années quatre-vingt, l’équilibre entre la stratégie, la structure et les systèmes de gestion occidentaux avec un personnel, les compétences, le style et les objectifs prépondérants de la gestion «à la japonaise».
La réponse à la question : c’est que, après 30 ans, à entendre parler des améliorations basées sur la participation du personnel, la plupart des dirigeants actuels s’accordent que pour compléter leurs stratégies, les structures et les systèmes, il ont besoin d’une sorte de programme d’amélioration… aujourd’hui le «Lean».
En revanche, très peu d’entre eux font preuve d’un acte de foi pour croire que leurs idées en termes de stratégie, de structure et de systèmes va résulter de leur volonté d’améliorer la sécurité, la qualité, la flexibilité et la productivité de leur personnel.
Ceux qui l’ont fait ont obtenu les résultats correspondants à l’attente. Ils sont entrés dans ce cercle vertueux qu’est apprendre à apprendre du Lean. C’est une démarche qui transforme l’entreprise et ses hommes, qui est là pour relever des défis stratégiques, pour soutenir des visions à moyen et long terme et qui va amener, avec le temps, progressivement des résultats hors normes.
Apprendre par les initiatives d’amélioration du personnel est, je crois, le coeur de la transformation Lean. surtout parce que vous aurez collectivement appris à résoudre les problèmes techniques de plus en plus complexes et à inventer des processus plus intelligents.
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1 Systéme Lean de James Womack et Dan Jones – Village Mondial
2 Art Byrnes : Auteur de « The Lean Turnaround » ‐ Mc Graw Hill
Alain Coupeté d’après M. Ballé – Octobre 2013